Écrits


Écrire...

J'ai envie d'écrire. Tout d'abord, d'apprendre à écrire. Puissance des mots, concision des phrases. Sens et sensations. Ambiances et images. Se souvenir et quelques fois imaginer. Ou plutôt, imager. Je ne veux pas illustrer, mais présenter, raconter et offrir un regard, par l'écrit.

On rencontre des gens, on lit des livres, on voit des paysages, on sent des odeurs.... Une multitude de choses qui m'encourage et me donne l'envie d'écrire, de poser sur le papier, de décortiquer, de comprendre et de garder en mémoire. Les mots glissent, les mots butent ou s'accrochent. On les lit de nouvau, on les lie autrement, ils nous donnent d'autres idées, d'autres images. On veut les enfermer, les garder pour soi , ou bien les partager, les échanger. Quelques fois, ils ne viennent pas. D'autres fois ils  arrivent brusquement. Il faut être à l'affût, toujours avoir de quoi noter; ou bien se les répéter, pour ne pas les oublier, pour qu'ils n'aient pas le temps de se faire chasser par d'autres mots.



Glane-âge

Faites des mères...
J'ai trois ans, enfin, je crois, peut-être même un peu moins. " Comment s'appellent tes parents, Lila?", me demande la mère d'une camarade de classe.
Mince, mes parents auraient eux aussi un prénom ? Je pensais qu'il s'appellaient "Papa" et "Maman". Cette question me perturba. D'une part, je venais de me rendre compte que mon père et ma mère auraient vraisemblablement une identité propre, d'autre part, j'étais honteuse de ne pouvoir répondre à cette question... si banale.

Quelques années ont passé, je suis à présent en grande section de maternelle. J'aimerais déjà être plus grande encore, qu'on me laisse m'habiller toute seule, ou encore me servir d'un cuter. J'en suis capable, je le sais ! Nous arrivons tous en classe, les maîtresses discutent, elles parlent entre elles, et le temps passe... Je ne sais pas depuis combien de temps nous attendons, cinq minutes, une demi-heure..., peu importe, je décide de prendre les choses en mains. Nous avions commencé un atelier de tissage en bolduc, sur une trame en carton, afin de réaliser un "magnifique dessous de plat", pour la fête des mères (je ne l'ai d'ailleurs jamais plus vu depuis qu'il est entré chez moi) qu'il fallait donc terminer avant le jour "J". Impatiente de pouvoir faire quelque chose, je m'installe alors à une table, sors les fils de couleurs et le début de mon ouvrage. Je me mets au travail, bien décidée à en finir, dans la matinée.
Mais voici Mme Lavant qui m'aperçoit, et me jette un regard comme elle sait bien le faire, annonçant un "remontage de bretelles" éminant ! Ca n'a pourtant pas l'air de me perturber, car je ne m'arrête pas dans mon élan, ne voyant pas ce que je fais de mal. D'un regard encore plus noir, elle s'avance alors vers moi, d'un pas décidé, et m'interrompt :
" Mais enfin, Lila, qui t'a permis de sortir les affaires du placard ? Imagine ce que serait la classe si tout le monde faisait comme toi...". Elle s'arrête et continue de me regarder avec ses "gros yeux". Je ne dis rien, mais je pense que si tout les autres avaient fait comme moi, on aurait peut-être déjà fini ce stupide dessous de plat, qui, de toute façon, n'aurait même pas résisté à la chaleur du plat de purée délicieux que savait faire maman !

La lettre "P" ou l'art de décaler les ponts
Aujourd'hui, nous apprenons à écrire la lettre "P", d'abord en minuscule, puis en majuscule, enfin, si nous avons le temps. On commence, une feuille devant nous, et un stylo en main, tous concentrés. Mme Lavant nous fait une démonstration sur le tableau, à la craie :
" Vous commencez par la droite, une petite queue pour commencer la lettre, puis une graaaande queue...voilà ; ensuite, vous repartez du haut pour dessiner un petit pont, oui, c'est ça, comme pour la lettre "n". Tout le monde a bien regardé ?".
Et c'est parti pour dix lignes de "p" ! Au bout du cinquième, j'en ai déjà marre...
" Non, Arthur, le petit pont vient après la grande queue, oui, c'est mieux, continue."
J'en arrive au huitième "p", s'en est trop  ! Au moins, si je m'applique une bonne fois pour toute, je serai débarrassée. Je me lance, bien accrochée à mon stylo, je ferme un oeil, et tire la langue, pour plus de précision. J'attaque la petite queue, arrive à la grande, puis le petit pont qui part du haut, mais légèrement en retrait du bord. C'est là que la maîtresse m'agrippe brusquement par l'épaule et me jette sur l'estrade, face au tableau, face à la classe.
" Oui, c'est ça ! Tu as vraiment fait une lettre "p", elle est très bien. Montre à tes petits camarades." Je recommence, cette fois-ci, en grand. Ca fonctionne encore. Tout est dans le léger décalage du petit pont. Si on m'avait dit que décaler les ponts faisait avancer plus vite...

Les caprices
En caprices, je m'y connaissais ! Enfin, jusqu'à mes quatre ans. Mais ce n'était pas de petits caprices, oh non ! Bien qu'ils n'eussent aucune influence sur la volonté de mes parents. Ce n'est pas pour ça que je les faisais d'ailleurs. Mais davantage parce que ça me défoulait. Je pouvais me permettre de crier si fort, qu'un jour, j'en alertai les pompiers... Si ! Si ! Ils arrivèrent à toute vitesse, en camion, avec la sirène, les casques et les uniformes. Je me relevais illico de terre, arrêtant net de gesticuler, ravalant le dernier cri qui s'apprêtait à sortir.
"Tu vois, tu as crié tellement fort que tu as alerté les pompiers, me murmura ma mère, un sourire au coin des lèvres."
Je ne savais plus où me mettre. Je décidais finalement de la suivre, pour aller faire des courses. Sans m'apercevoir que les pompiers se dirigeaient auprès d'une vieille dame de l'immeuble qui avait oublié une casserole sur le feu...


Brèves de vies

Les odeurs
Il aimait sentir. Depuis tout petit. Il développait son odorat, en humant chaque chose, chaque personne. Il sentait des parfums, il sentait des odeurs. Quelques fois, il sentait même des humeurs ou des souvenirs. Ce qu'il aimait, c'était repérer les différentes odeurs qui se déposaient sur une étoffe, un foulard ou un pull. Il prenait d'ailleurs soin de ses "doudous", refusant de les brusquer ou de les contrarier, ce qui devait arriver  s'il les oubliait dans un coin ou qu'il ne se lavait pas les mains et le visage avant de les respirer. Lorsqu'il réussissait à les apprivoiser, à s'entendre avec l'un de ses doudous, ils lui offraient de nombreuses odeurs, s'amusant à les faire se déplacer sur le tissu usé et doux. Il se mettait alors à suivre ces odeurs, qui disparaissaient quelques fois pour réapparaître ailleurs ou quelques jours plus tard.
Elle le rencontra et il lui raconta presque tout de suite sa passion de tout petit. A elle qui avait oublié à quel point il était bon de sentir les choses. Elle réussit alors à garder son odeur lorsqu'elle s'éloignait de lui, sur ses mains, ses vêtements, enfin dans sa mémoire. Elle le remerciait...

Voir les gens loin de chez soi
C'est difficile de voir les gens loin de chez soi. On l'avait pourtant prévenu. Elle pensait pourtant pouvoir s'en accommoder. Finalement, elle n'était qu'à deux heures de train.
Petit à petit, elle décida de rentrer de moins en moins, et la distance se fit de plus en plus grande. Elle se sentait de plus en plus loin. Mais, sans regret. Au contraire, elle décida de vivre à plein temps cette nouvelle ville.
Lui avait décidé de ne pas la suivre. Ils commençaient à s'éloigner. Elle finit par l'oublier.

Autour de soi
Elle ne comprenait pas. Comment était-il possible de ne pas faire attention aux autres, à ses proches, à ses amis ? Elle qui avait passé une journée éprouvante et pleine de petites attentions envers les personnes qui l'entouraient. Elle comprenait que c'était un effort à faire, quelques fois. Elle savait aussi qu'il arrivait de ne penser qu'à soi. Mais ce soir-là, elle avait besoin de réconfort et aucun n'était vraiment là... Elle n'était pas fâchée contre eux, elle n'était même plus triste. Elle ne comprenait pas, c'est tout. Elle se dit que ça faisait du bien de pleurer. Elle alla se coucher.

Les mots
Il aimait les mots. Chacun d'eux avait son importance, sa propre signification. Pour les retenir, dès qu'il en rencontrait un nouveau, il le répétait à voix basse, pour être certain de ne pas l'oublier. Il en connaissait des drôles, des sérieux, des compliqués, des singuliers, des qui ne se répètent pas. Quelques fois, dans sa bouche de petit garçon, ces mots devenaient monstrueux. Comme s'il était trop petit, du haut de ses quatre ans, pour dire "appréhender", "phallocrate" ou "suicide".

D'autres mots
Elle ne cherchait pas à savoir ce que voulaient dire les mots. Elle préférait les écouter. Elle les comprenait autrement. Quelques fois, les mots ne se cachaient pas et leur sonorité suffisait à exprimer ce qu'ils voulaient dire. A d'autres moments, ils n'avaient plus aucune logique. On lui proposait poliment de l'escorter, mais c'était un mot qui faisait mal, et elle refusait. Elle préférait qu'on lui demande de l'accompagner, c'était un mot plus doux, qui l'enrobait et la protégeait tout au long du trajet.
Elle confondait les expressions, se mettait de "l'heizeimer" sur les yeux et lisait  l'histoire de "Serrano" de Bergerac, comme le jambon.
Puis les mots commencèrent à l'intéresser, parce qu'ils ne lui disaient pas les mêmes choses qu'aux autres, ils lui racontaient d'autres histoires, lui proposaient d'autres sensations. Ils devenaient ses amis.




Le public au théâtre
d'après la représentation Les Éphémères d'Ariane Mnouchkine, à la Cartoucherie

Il y a les distraits, les hyperactifs, ils font trembler leurs jambes, se frottent les cuisses, se grattent derrière la tête, remontent leurs lunettes, se redressent dans leur siège régulièrement, soupirent, et finissent par regarder l'heure. Attentifs au tic-tac de leur montre, ils enchaînent les tics qui trahissent leur impatience, leur besoin d'une bouffée d'air, ou de nicotine.

Il y a ceux qui sont déjà venus, mais qui veulent revivre cette expérience, de la même manière ou différemment. Ils ont besoin de prendre du recul, de la distance, ou d'une deuxième chance pour oser plonger dans la magie du spectacle, sans retenue, cette fois-ci.
Il y en a qui voudraient rire ou pleurer, se laisser aller, mais ils ne parviennent pas à oublier les autres, à faire abstraction de la foule parmi laquelle ils sont assis.

Il y a ceux qui scrutent, l'index posé sur les lèvres, comme s'ils se retenaient de faire une remarque, un commentaire, ou de dire la réplique. Bien installés sur leur coude, les jambes croisées, ils notent dans leur tête quelques remarques et anecdotes à ne surtout pas oublier. Ils en font des symptômes de la pièce, d'un mouvement théâtral, historique ou en pleine mutation, un message à déchiffrer, un corps à disséquer.

Certains regardent, attentifs, ils fixent le centre de la scène, la centre de l'action. Ils boivent la moindre parole, le moindre souffle, la plus infime inspiration. Ils scrutent les corps, s'arrêtent sur un geste, déplacent leurs regards et s'arrêtent de nouveau sur un détail du décor. Ils décryptent le plus petit signe, chaque objet, leur position dans l'espace scénique, leur reflet, leur ombre portée.
Les épaules tombantes, la tête bien redressée, la nuque tendue, le nez en avant, comme happé par la scène. Leur regard suit les mots.

D'autres se laissent porter par les répliques, le son des voix, la musique, la lumière. Ils s'effacent dans la pénombre de la salle, et oublient tout ce qui se passe autour d'eux, derrière eux, pour se focaliser uniquement sur la scène. Ils ont l'impression d'être seul dans la salle, unique spectateur de la représentation.

Ils ne sont bientôt plus là, mais pourtant si présents. Ils se projettent tout entier dans la pièce. Ils sont (dans) la pièce. Ils s'identifient aux personnages, ils vivent ou revivent les paroles, les gestes, les situations, ils font corps avec l'espace et le temps de la représentation, avec le théâtre tout entier.
Le menton posé sur leurs poings bien serrés leur regard s'est arrêté sur un point, une lumière, une trouée. Les yeux dans le vide, ils n'écoutent plus. Les voix ne sont plus qu'une musique lointaine, un ronronnement qui les berce. Ils ne sont pas distraits mais concentrés, sur autre chose, qui a à voir, de loin ou de près, avec ce spectacle.
Certains même, partent si loin, qu'ils ne sont plus présents. Leur vie, leurs souvenirs, leurs problèmes et leurs joies, toutes leurs leurs émotions, les rattrapent.

Comme des enfants hypnotisés par le conteur, ils retrouvent des poses de leur corps de 5 ans. Accroupis, recroquevillés, la tête bien posée sur leur deux paumes ou pesant de tout son poids sur l'avant bras. La joue écrasée, la bouche déformée, les yeux exorbités. Ils oublient et n'ont même plus conscience des techniciens visibles ou invisibles, de la mise en scène et du travail des comédiens. Ils se mettent en situation d'écoute, commencent à rêver, et se laissent porter par la magie du spectacle.

D'autres enfin étudient, décryptent, analysent, se demandent comment … , et pourquoi … Ils en oublient le spectacle, qui est prétexte à la critique, et catalyseurs d'arguments savants. Le discours se substitue aux émotions. Ils vivent deux moments en simultanés : celui guidé par l'entendement, et celui porté par le sensible. Car ils se laissent quand même surprendre par un son, un geste, un éclairage, une intonation, un regard …
Leur regard balaie l'espace de la scène et de la salle. Certains se retournent même, pour observer ce qui se passe autour d'eux, dans leur dos, afin de voir comment réagissent les gens du public. Ils ne sont plus dedans, mais ont le public autour d'eux. Ils l'écoutent rire, tousser, soupirer, chuchote.r La salle et le public aussi font spectacle. Tout est représentation.

Visages placides, émus, renfrognés, stupéfaits, pensifs, rêveurs, mécontents, souriants, attentifs, sérieux, faisant la moue. Yeux plissés, écarquillés, regards inquiets, apaisés, flous ...

On ne voit et ne vit pas tous le théâtre de la même manière et pour les mêmes raisons.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire